HEUREUSES ERREURES

L'Immédiat • Camille Boitel

#cirque

en février

La poésie peut-elle être fiabilisée ? Peut-on être sûr de l'art ?

Au fond, les œuvres qui nous obsèdent, celles dont on rêve la nuit, nous arrivent toujours en plein visage, larvées au plus profond de l'inattendu. Le libre est aussi le désordonné, et nous n'aimons pas toujours voir nos jardins en friche. Notre esthétique est encore un peu esthéticienne, notre culture, culturiste.

Pourquoi celles et ceux qui nous paraissent les plus touchant·es, sont aussi celles et ceux qui s'en sont pris plein la tête ? Les héros qui ont réussi, bizarrement, les vrais winners, sont un peu ennuyeux. L'art a peut-être à voir avec les ratés.


On continue de préférer les artistes domestiques, les apprivoisés, les normaux, qui chantent quand il faut chanter, qui ont des grandes gueules et dont l'œuvre égocentrée n'assure que leur propre promotion. Ceux-là ont toutes les qualités : fiables, travailleurs, rentables, agréables à vivre, disponibles, disant oui à tout et toujours fidèles à leur cadre. Les artistes sauvages, eux, sont instables, pénibles, irréguliers, préoccupés, handicapés de tout ce qui est normal ; ils posent constamment de nouveaux problèmes sans raison, et nous intranquilisent. Ils se ridiculisent et nous ridiculisent en permanence.


Mais l'art n'a-t-il pas justement un peu à voir avec le fait que nous sommes un peu déçus quand tout se passe comme prévu ? La plus belle de nos vies n'est-elle  pas involontaire ? La beauté a quelque chose d'accidentel. Et l'existence elle-même, au fond, n'est pas loin d'être une erreure heureuse. Nous avons la chance d'avoir le temps de tenter. Nous avons l'immense luxe de pouvoir nous tromper de route. Notre destination est interrogative. Certes, c’est épuisant de ne jamais savoir où nous allons en venir, mais n'est-ce pas pire, au fond, de ne jamais marcher ailleurs que sur nos vieux pas passés ? Errer est peut-être joyeux, et c'est dans ces sentes tortueuses qu'on attrape des idées artistiques. En perdant du temps. À contretemps et sans le faire exprès. Amoureusement.


En prenant le risque d'être follement heureux, un instant, par erreure.


Camille Boitel



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    « Notre démarche repose sur des rencontres réelles, puisqu’on va jouer ensemble. Si je pouvais juste essayer d’augmenter notre vitalité, notre sens de l’humour quant à nos fragilités, nos incapacités à contrôler les choses… C’est une quête fabuleuse. Quand on commence à trouver ça beau, à trouver dans la chose la plus pénible une source de joie, c’est qu’on a gagné quelque chose : on a gagné du terrain d’humanité. » – Camille Boitel pour La Terrasse (lire l'article)